Les femmes, des leaders comme les autres
Publié le 14/08/2013 à 13h37
© DR - En photo. Nathalie Roos, ex-présidente des marchés européens du groupe Mars, a rejoint la direction générale du groupe L'Oréal fin 2012. Dans le magazine Management de septembre 2011, elle déclarait notamment. "Les femmes, meilleures que les hommes. C’est une fausse question. Le talent est également réparti entre les deux sexes. […] Si, dans notre groupe, nous avons du mal à recruter des “general managers” femmes, c’est notamment parce que ces dernières ne s’en sentent pas toujours capables." Tous droits réservés
Non, les femmes managers ne viennent pas de Vénus. Tordant le cou aux stéréotypes, des études récentes nous ramènent sur Terre.
Si Lehman Brothers s’était appelĂ© Lehman Sisters, la banque n’aurait pas fait faillite. Cette plaisanterie, qui circulait dans les milieux financiers au moment de la crise, est rĂ©vĂ©latrice d’une croyance de plus en plus rĂ©pandue. les femmes seraient de bien meilleurs dirigeants que les hommes. Dans un rapport datant de 2012, la Commission europĂ©enne a listĂ© une demi-douzaine d’études allant dans ce sens (1). Parmi ces enquĂŞtes, celle de Catalyst, un cabinet de conseil amĂ©ricain, livre une conclusion qui se veut sans appel. les entreprises comptant une forte proportion de femmes au sein de leurs organes dĂ©cisionnels rĂ©aliseraient 42% de bĂ©nĂ©fices en plus et leurs capitaux investis afficheraient un rendement supĂ©rieur de 66% («The Bottom Line: Corporate Performance and Women’s representation on Board», 2007). L’efficacitĂ© Ă©conomique de la gent fĂ©minine tiendrait Ă un leadership particulier et diffĂ©rent de celui des hommes. Pour faire court, et pour reprendre le titre d’une autre Ă©tude de Catalyst. «Les femÂmes font attention et les hommes tranchent» («Women take care, men take charge», 2005).
Déterminisme tenace. Deux chercheuses américaines se sont penchées sur les stéréotypes sexuels qui circulent dans nos sociétés (2). Dans l’inconscient collectif, les femmes sont perçues comme étant serviables, compréhensives, sensibles aux besoins des autres, compatissantes et émotives. Les traits masculins dominants, quant à eux, seraient l’indépendance, la compétition, la prise de décisions, la domination et l’agressivité. En découleraient deux styles de management bien distincts. Les hommes se révéleraient des chefs autoritaires et directifs(3), alors que les femmes privilégieraient un management démocratique et participatif, fondé sur une écoute plus fine de leurs collaborateurs et une plus grande capacité à consulter avant de décider. De là à les cantonner dans certains rôles de direction, comme les fonctions support, il n’y a qu’un pas…
Facteurs sociaux. thèses rĂ©centes prennent le contre-pied de ces stĂ©rĂ©otypes postulant l’existence de valeurs portĂ©es exclusivement par les hommes ou les fÂemÂÂÂmes. Trois chercheurs amĂ©ricains ont ainsi montrĂ© que les femmes sont des entrepreneurs comme les autres (4). Selon eux, celles qui rĂ©ussissent ne sont pas diffĂ©rentes de leurs homologues masculins. Leurs recherÂches montrent plutĂ´t que les deux groupes sont similaires en matière de motivation, de passĂ©, d’environnement, etc. La rĂ©ussite tiendrait plus Ă des facteurs sociaux. «Le sexe n’est pas une variable perÂtiÂnente pour diffĂ©rencier les styles de leaÂdership, renchĂ©rit Sarah Saint-Michel, enseignante-chercheuse au Centre de reÂcherche en management de Toulouse (universitĂ© Toulouse 1 / CNRS). Les femÂmes aux commandes sont des leaders comme les autres. L’idĂ©e d’un leaderÂship propre aux femmes est infondĂ©e.» Pour parvenir Ă cette conclusion, la chercheuse a compilĂ© 25 enquĂŞtes europĂ©ennes et amĂ©ricaines sur les qualitĂ©s attribuĂ©es aux dirigeants et a analysĂ© les rĂ©ponses des collaborateurs de 20 000 patrons(5).
Style androgyne. Les travaux de Sarah Saint-Michel montrent que les individus interrogĂ©s ne font pas de diffĂ©rence entre les sexes. Ils perçoivent de la mĂŞme manière leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques, homÂmes et femmes, du point de vue du style de leadership (charismatique, basĂ© sur une vision partaÂgĂ©e, ou plus conventionnel, liĂ© Ă l’obtention de rĂ©sultats) comme de la personnalitĂ© (courage, confiance en soi, empathie…). Pour eux, ce qui compte, c’est la façon dont les leaders eux-mĂŞmes se voient et agissent. Ainsi, quel que soit le sexe du chef, si ce dernier se montre bienveillant ou Ă l’écoute, il suscitera un puissant sentiment affectif chez les salariĂ©s. De la mĂŞme façon, qu’il soit homme ou femme, un leader se rĂ©vĂ©lant autoritaire ou combatif Ă©veillera une plus grande motivation de la part de ses collaborateurs.
Une Ă©tude norvĂ©gienne vient corroborer cette hypothèse (6). S’appuyant sur un questionnaire d’autoĂ©valuation distribuĂ© Ă 917 top et middle managers (dont 34% de femÂmes), elle montre que ces Âdirigeants choisissent pour dĂ©finir leur style de management des catĂ©gories (androgyne, fĂ©minin, indiffĂ©renciĂ© ou masculin) indĂ©pendantes de leur sexe. Il y a presque auÂÂtant de managers hommes affirmant avoir un style de leadership fĂ©minin que de femmes managers avec un style de leadership masculin. L’auteur de l’étude conclut en montrant la supĂ©rioritĂ© du style androgyne qui favorise l’innovation dans les entreprises.
MixitĂ© = performance. Finalement, que l’on croie ou non Ă l’existence de valeurs fĂ©minines et masculines, on dĂ©bouche sur la mĂŞme conclusion. le mĂ©lange des genres et la mixitĂ© font la performance. On se dirige donc vers un modèle mixte de leaÂdership. Sarah Saint-Michel Ă©voque ainsi l’émerÂgence d’un nouveau leadership asexuĂ©. Quant Ă Viviane de Beaufort, professeure-chercheuse Ă l’Essec, elle parle d’un leadership Ă©quilibrĂ©. «Le diriÂgeant moderne idĂ©al et efficace doit conjuguer des compĂ©Âtences masculines (charisme, leaÂderÂship, impartialitĂ©, capacitĂ© de dĂ©cision, etc.) et fĂ©minines (relationnel, empaÂthie, Ă©coute, organisation, savoir, etc.)»(7) Bref, pour rĂ©ussir, les entreprises ont tout intĂ©rĂŞt Ă intĂ©grer ce qu’Agnès Arcier, fondatrice de l’association de femmes hauts fonctionnaires AdmiÂnistration moderne, appelle le «quotient fĂ©minin». la capacitĂ© Ă mobiliser les valeurs fĂ©minines dans leur management(8).
(1) “Les Femmes dans les instances de décision économique au sein de l’U.E. rapport de suivi”, 2012.
(2) J. Spence et C. Buckner, “Instrumental and expressive traits, trait
stereotypes, and sexist attitudes. what do they signify?”, “Psychology
of Women Quarterly”, mars 2000, vol. 24, pp. 44-53.
(3) A. Eagly, B. Johnson, “Gender and leadership style. a meta-analysis”, “Psychological Bulletin”, vol. 108, n° 2, pp. 233-256, 1990.
(4) J. Cohoon, V. Wadhwa et L. Mitchell, “The Anatomy of an Entrepreneur:
Are Successful Women Entrepreneurs Different from Men?”, Fondation Ewing Marion Kauffman, Etats-Unis, 2010.
(5) S. Saint-Michel, “L’Impact du genre sur les traits de personnalité des leaders et les effets sur leur style de leadership”, thèse de doctorat sous la direction de Jean-François Amadieu, Paris-I Sorbonne, 2012.
(6) A. Solberg, “A Gender Perspective on Innovation Management”, thèse de doctorat, université d’Oslo, département de sociologie et de géographie, 2010.
(7) V. de Beaufort, “Femmes et pouvoir. tabou ou nouveau modèle de
gouvernance ?”, Essec-Boyden, septembre 2012.
(8) A. Arcier, “Le Quotient féminin de l’entreprise”, Village mondial, 2002.
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